La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
M. le président Olivier Falorni. Notre commission d’enquête s’intéresse aux abattoirs de la filière avicole, ce qui nous a amenés à visiter certains d’entre eux, et à réunir ce matin, dans le cadre d’une table ronde, les représentants de ce secteur.
La France est le deuxième producteur européen de volailles, avec, en 2014, plus de 1,8 million de tonnes équivalent carcasse produites, et un chiffre d’affaires de plus de 6,9 milliards d’euros. Cette production est répartie en 415 abattoirs avicoles – dont 81 % produisent des poulets de chair – et cunicoles, parmi lesquels 76 abattoirs abattent plus de 2,5 millions de têtes par an, soit 1,6 million de tonnes d’animaux. En incluant les salles d’abattage à la ferme, on dénombre 4 000 abattoirs de volailles en France. Sachant que la France est aussi le deuxième consommateur européen de volailles, nous ne pouvons que constater l’enjeu économique que représente cette filière.
L’importance de ce secteur nous amène à nous interroger sur les conditions d’abattage et le bien-être animal. Notre commission d’enquête a été créée après la diffusion par l’association L214 d’images scandaleuses filmées dans des abattoirs français. Les trois vidéos en question ne concernaient pas l’abattage des volailles, mais vous n’êtes pas sans savoir qu’une vidéo relative à l’élevage de volailles diffusée ultérieurement a également provoqué une très vive émotion dans le pays.
Cette table ronde nous permet d’échanger avec plusieurs acteurs de la filière.
La Fédération des industries avicoles (FIA) représente les acteurs du secteur abattage-transformation au sein de la filière avicole, c’est-à-dire les centres d’abattage, de transformation, ateliers de découpe et centres de conditionnement. Monsieur Paul Lopez est le premier vice-président de la FIA, et Madame Julie Mayot en est la responsable technique et réglementaire. Monsieur Lopez a lui-même dirigé plusieurs établissements d’abattage, parmi lesquels l’entreprise d’abattage et de découpe Boscher Volailles, et l’usine d’abattage de volailles de Keranna, en Bretagne.
Les Comités interprofessionnels du poulet de chair (CIPC), de la dinde française (CIDEF), du canard à rôtir (CICAR), représentent les professionnels de la sélection et de l’accouvage, de la fabrication des aliments, des élevages, des abattoirs et des ateliers de découpe dans ces secteurs. Monsieur Roland Tonarelli, président du CICAR, représentant du secteur abattoir, est également directeur général de la société Ernest Soulard, en Vendée, producteur de viande de canard et de foie gras. Il préside l’Association pour la promotion de la volaille française (APVF).
L’Institut technique de l’aviculture (ITAVI), membre du réseau des instituts techniques agricoles (ACTA), est un organisme de recherche appliquée, doté d’un conseil scientifique, qui apporte son expertise aux professionnels des filières avicole, cunicole et piscicole. L’ITAVI fournit également des données de référence sur ces filières. Il est présidé par M. Jean-Michel Schaeffer, ingénieur diplômé de l’Institut des hautes études de droit rural et d’économie agricole. Monsieur Schaeffer est lui-même aviculteur, puisqu’il produit des poulets Label rouge Alsace au sein d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC). Il fut également président du syndicat Jeunes agriculteurs, et il est actuellement président de la Confédération française de l’aviculture (CFA).
Le Comité national des abattoirs et ateliers de découpe de volailles, lapins et chevreaux (CNADEV) représente également les professionnels de l’abattage-transformation au sein de ces filières, soit soixante adhérents et 3 000 emplois directs. Monsieur Dominique Ramon est administrateur du CNADEV. Il dirige, avec son frère, deux sociétés familiales de production de viande de volaille : l’entreprise Rémi Ramon, dotée de deux abattoirs, et le site industriel Sofral.
Comme chacune de nos auditions, cette table ronde est publique, ouverte à la presse, et diffusée en direct sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale.
Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d’enquête, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Paul Lopez, Mme Julie Mayot, M. Roland Tonarelli, M. Jean-Michel Schaeffer et M. Dominique Ramon prêtent serment.)
M. Roland Tonarelli, représentant des interprofessions de la dinde, du poulet et du canard à rôtir. Les comités interprofessionnels de la dinde française, du poulet de chair et du canard à rôtir, au nom desquels je m’exprime aujourd’hui, représentent 14 000 éleveurs, réunis au sein de 120 organisations de production, 60 couvoirs, 340 usines d’aliments et 422 établissements d’abattage, de découpe et d’élaboration.
La filière compte près de 60 000 emplois directs et indirects : 33 220 emplois directs et indirects dans la production, 22 400 emplois dans les établissements d’abattage.
Monsieur le président, la France n’est plus aujourd’hui le deuxième producteur européen de volailles : elle passe en troisième position, et se trouve actuellement au coude à coude avec l’Allemagne, derrière la Pologne.
M. le président Olivier Falorni. Je n’avais que les chiffres de 2014 !
M. Roland Tonarelli. La filière est présente sur tout le territoire, avec une prédominance sur la façade du grand Ouest.
Les trois secteurs que je représente ont un poids économique de 10 milliards d’euros, calculé à partir de leur chiffre d’affaires, dont près de 1 milliard à l’export, sous forme de génétique ou de viandes. Quelques établissements qui exportent ont fait parler d’eux dans le passé, comme l’entreprise Doux. Plus de 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires proviennent de la production, et près de 7 milliards d’euros de l’abattage.
Ce secteur est économiquement très sensible en raison de sa grande ouverture à la concurrence et à l’importation européenne et mondiale. Plus de 40 % de notre consommation de poulet provient d’importations, et ce ratio monte à plus de 70 % dans le secteur de la restauration hors domicile. La distorsion de concurrence n’est pas qu’économique et sanitaire ; elle est aussi réglementaire.
M. Jean-Michel Schaeffer, président de l’Institut technique de l’aviculture (ITAVI). En tant qu’expert, j’espère pouvoir éclairer sous un angle technique les différents sujets que vous aborderez avec les professionnels de l’abattage.
M. Dominique Ramon, administrateur du Comité national des abattoirs et ateliers de découpe de volailles, lapins et chevreaux (CNADEV). Nous sommes la troisième génération de la famille dans le secteur. Je représente le CNADEV, qui compte soixante entreprises d’abattage et de transformation. Il s’agit essentiellement d’entreprises familiales ou de taille moyenne qui peuvent abattre de 500 à 20 000 tonnes par an. Nos adhérents abattent 15 % du volume national, avec un effectif de 3 000 salariés. Seul un tiers d’entre eux emploie plus de vingt salariés.
Nous sommes sensibilisés à la question du respect du bien-être animal. Nous avons mis en place depuis longtemps des outils en la matière, et, bien évidemment, nous appliquons la loi.
M. Paul Lopez, premier vice-président de la Fédération des industries avicoles (FIA). Pour ma part, j’ai également l’honneur de présider le secteur d’activité au niveau européen, ce qui me permet d’avoir une vision internationale et européenne des différents sujets que nous aborderons.
M. le président Olivier Falorni. Quelles ont été vos réactions à la diffusion des vidéos tournées par l’association L214, notamment celle filmée au sein du GAEC Perrat ? Comment pouvez-vous expliquer une telle situation ?
Quelles sont les diverses méthodes utilisées pour l’étourdissement des volailles dans notre pays ? Dans quelles proportions chaque méthode est-elle utilisée ?
Êtes-vous favorables à la mise en place obligatoire d’un système de vidéosurveillance au sein des établissements d’abattage ? Sous quelle forme la vidéosurveillance pourrait-elle éventuellement être acceptée ?
Vous militez pour un étiquetage indiquant l’origine géographique de la volaille ; êtes-vous favorable à un étiquetage indiquant le mode d’abattage des animaux et précisant s’ils ont été abattus avec ou sans étourdissement ?
M. Paul Lopez. Il n’entre pas dans mes attributions de répondre à une question relative à l’élevage de la poule pondeuse, qui ne relève pas de notre secteur d’activité. Le GAEC Perrat n’est pas un abattoir. Par correction à l’égard de mes confrères, je n’ai pas de jugement à porter.
En France, la méthode d’étourdissement la plus répandue, l’électronarcose, s’applique à plus de 85 % du tonnage. L’anesthésie au gaz est utilisée sur environ 15 % de la production, et moins de 1 % de la volaille doit être abattue sans anesthésie – nous ne disposons pas vraiment de chiffres en la matière.
M. le président Olivier Falorni. Ces proportions vous paraissent-elles satisfaisantes, ou vous paraîtrait-il plus judicieux de pratiquer plus d’étourdissements au gaz ?
M. Paul Lopez. Le passage à l’étourdissement au gaz pose d’abord une question économique, car, pour utiliser cette méthode, il faudrait s’équiper et, dans la plupart des cas, il serait nécessaire de changer tout le parc de transport et de containers. L’investissement minimal pour un abattoir français qui voudrait utiliser cette technologie s’élèverait à 1 million d’euros. De façon générale, il faudrait au moins dépenser 1,5 million d’euros par outil. L’usage de cette technologie ne peut donc pas être généralisé à l’échelle de l’Europe ni même du pays, car les investissements nécessaires entraîneraient un mouvement de concentration qui n’est pas souhaitable.
L’étourdissement exclusivement au gaz est ensuite exclu, parce que la France produit des espèces pour lesquelles la méthode n’est pas applicable. Je rappelle que les canards peuvent se mettre en apnée. Il est vrai que certains pays européens ont choisi de ne plus utiliser que le gaz, ce que nous ne pourrions de toute façon pas faire.
Nous ne sommes pas favorables à la vidéosurveillance. Nous avons déjà été sollicités sur le sujet par des clients, étrangers pour la plupart. Cela pose en particulier un problème à l’égard du personnel qu’il faudrait filmer en permanence durant toute leur journée de travail, tout au long de l’année.
Enfin, vous m’avez interrogé sur l’étiquetage. Il y a quelques années, la Commission européenne a lancé une enquête qui l’a convaincue de ne pas retenir l’information relative à l’abattage et à l’étourdissement pour l’étiquetage des produits. De plus, je rappelle que la taille des barquettes diminue avec celle des foyers, et que l’on demande qu’y soient inscrites de plus en plus d’informations. À partir d’un certain nombre de données, ces dernières deviennent peu exploitables.
M. Roland Tonarelli. Ce que nous avons vu sur les vidéos est inacceptable. Nous avons la même réaction sur ce sujet que tous les citoyens. Comme l’indiquait Monsieur Paul Lopez, les lieux qui ont été filmés ne relèvent pas de notre activité professionnelle. Le ministre de l’agriculture a indiqué que ces images mettaient en cause un éleveur qui faisait mal son travail, mais qu’elles ne devaient pas jeter le discrédit sur l’ensemble d’une profession. À l’issue d’une enquête contradictoire, la justice fera son travail.
L’électronarcose est aujourd’hui la meilleure technique disponible pour un étourdissement conforme aux règlements en vigueur et efficace pour des espèces comme le canard. Il faut préciser que les paramètres recommandés doivent souvent être adaptés à l’espèce que l’on souhaite étourdir, et même à la morphologie d’un lot d’animaux. Il est donc essentiel que les opérateurs soient bien formés et règlent correctement le matériel. Les services de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) sont très rigoureux sur ces sujets.
Je n’ai rien à ajouter à ce qu’a dit Monsieur Paul Lopez sur la vidéosurveillance ou sur l’étiquetage relatif à l’étourdissement, même si je suis un grand militant de l’étiquetage relatif à l’origine des produits.
Mme Julie Mayot, responsable technique et réglementaire de la Fédération des industries avicoles (FIA). J’ai interrogé les responsables protection animale (RPA) et les responsables qualité, qui sont souvent les mêmes personnes dans les abattoirs de volailles de nos adhérents, au sujet de la vidéosurveillance. Ils ont surtout insisté sur l’importance de la formation du personnel, et sur le rôle du management qui relève de la responsabilité du chef d’équipe. La vidéosurveillance leur paraît constituer un outil additionnel qui peut être utilisé si l’abattoir le souhaite. Il nous semble que l’exploitation des images risque d’être compliquée. C’est la responsabilité de l’exploitant d’installer une caméra s’il pense qu’elle peut être un outil pédagogique additionnel, mais il ne s’agit en aucun cas d’un outil à mettre en place de façon systématique.
Selon nous, il n’y a pas de différence sur le plan du bien-être animal entre l’électronarcose et l’étourdissement au gaz. Si les deux méthodes sont bien appliquées, et que les paramètres sont maîtrisés par l’exploitant, les résultats sont les mêmes. En laboratoire, nous insistons d’ailleurs sur le résultat puisque nous contrôlons des indicateurs d’inconscience définis par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Ils sont vérifiés sur le terrain où ils nous indiquent, quelle que soit la méthode employée, si l’anesthésie est correctement pratiquée.
M. Jean-Michel Schaeffer. En tant qu’éleveur, je peux répondre à la question relative au GAEC Perrat. Sur ce sujet, nous devons avancer avec discernement et éviter de prononcer des jugements dans l’émotion. Nous sommes réunis pour parler des abattoirs ; est-ce pour parler d’une association qui joue le rôle de lanceur d’alerte ?
M. le président Olivier Falorni. Ce n’est pas le sujet du jour, mais les lanceurs d’alerte ont précisément joué leur rôle. Il nous appartient ensuite de nous prononcer.
M. Jean-Michel Schaeffer. Évidemment, ce que nous avons vu est totalement inacceptable. Nous avons dénoncé cela dans un communiqué de presse. Évitons tout de même de généraliser et de jeter le discrédit sur tous les éleveurs français. Dans leur immense majorité, ils font très bien leur travail. De plus, des chartes sanitaires encadrent la production d’œufs, pour laquelle diverses démarches et procédures apportent des garanties.
D’après les quelques éléments d’information qui nous sont parvenus, l’affaire concernait un éleveur qui se trouvait dans une situation familiale et financière très compliquée. Il élevait aussi du porc dans le contexte de crise que le secteur a connu l’année dernière. Peut-être faudrait-il se demander comment accompagner les agriculteurs confrontés à des difficultés avant que les choses ne dérapent dans les élevages ?
Monsieur Dominique Ramon. Je n’ai pas grand-chose moi non plus à ajouter aux propos de Paul Lopez. Je crains cependant que son estimation s’agissant du coût de l’équipement pour l’anesthésie gazeuse ne soit trop juste. J’étudie le dossier actuellement pour notre entreprise : il nous en coûtera plus de 1,5 million d’euros. Le procédé ne sera par ailleurs applicable que pour le poulet et la dinde standards. Nous avons évoqué le problème posé par les canards, mais ces équipements européens et mondiaux ne sont pas davantage adaptés à la spécificité de la production française, notamment à celle des adhérents du CNADEV, avec des volailles fermières, les poules ou la pintade. Cette méthode ne constitue pas une solution pour cinquante-huit des soixante adhérents !
M. le président Olivier Falorni. La différence entre l’électronarcose et l’anesthésie gazeuse, c’est que cette dernière est préalable à l’accrochage des volailles – c’est lors de l’accrochage que certains problèmes se posent. En termes de bien-être animal, nous avons pu constater que l’on ne pouvait pas placer les deux méthodes sur le même plan. Un certain nombre de professionnels présentent d’ailleurs le passage futur de l’électronarcose à l’anesthésie gazeuse comme un progrès pour le bien-être animal. L’électronarcose a ses limites, tant pour les animaux que pour le personnel. L’accrochage de volailles vivantes à longueur de journée, ce n’est pas un poste facile à occuper !
M. Dominique Ramon. Ça fait soixante ans que c’est comme ça, monsieur !
M. le président Olivier Falorni. Sans doute, mais nous sommes tout de même au XXIe siècle !
M. Dominique Ramon. On doit avancer, certes, mais il faudra faire des études pour adapter éventuellement l’anesthésie gazeuse à des productions auxquelles elle n’est aujourd’hui pas adaptable – et je ne parle même pas des questions de coût. En la matière, l’estimation qui nous est donnée est sous-évaluée, et je ne vois pas comment les structures que je représente, dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur au million d’euros, pourraient investir les sommes nécessaires.
Mme Julie Mayot. Après électronarcose, le temps d’accrochage des volailles vivantes est réglementé : il doit être inférieur à une minute pour le poulet, et à deux minutes pour le canard et la dinde. Dans nos guides des bonnes pratiques, en cours de développement, nous préconisons de trier les animaux à leur arrivée à l’abattoir. Ceux qui présentent une faiblesse, une patte cassée par exemple, doivent être mis de côté et anesthésiés séparément avec des techniques approuvées.
Quelle que soit la méthode utilisée, électronarcose ou gaz, nous avons affaire à des systèmes agréés au niveau européen qui respectent le bien-être animal – c’est l’objet même du règlement européen 1099/2009.
S’agissant de la manipulation de la volaille vivante par les salariés, un travail est en cours avec des instituts techniques sur l’empoussièrement et l’ambiance de travail. Le fait qu’elles soient vivantes et qu’elles battent des ailes demande de faire évoluer les systèmes de ventilation afin d’améliorer la qualité de l’air. Les gestes de l’accrochage restent les mêmes, que la volaille ait été anesthésiée au gaz ou non. Nous disposons également d’études sur le bien-être du salarié.
M. Jacques Lamblin. Monsieur Lopez, nous vous avons entendu parler de pays européens qui passeraient à l’anesthésie gazeuse comme méthode unique d’étourdissement. Pourquoi ce qui est possible ailleurs ne le serait pas en France ? Je ne parle évidemment pas du problème des espèces auxquelles cette méthode n’est pas adaptée.
J’ai entendu dire qu’il était arrivé que l’électronarcose ne fonctionne pas bien – on m’a parlé de bains souillés. Qu’en est-il de la fréquence du changement de l’eau du bain, si j’ose dire ? L’anesthésie ne constitue-t-elle pas parfois une variable d’ajustement dans le fonctionnement de la chaîne ?
Le nom de « vidéosurveillance » me paraît impropre. Nous pourrions parler de « vidéo-enregistrement » s’agissant d’un outil qui permettrait d’évaluer la difficulté du travail du personnel et de repérer les mauvais gestes en vue de prévenir les troubles musculo-squelettiques. Ces images pourraient aussi constituer des témoignages à décharge si des accusations étaient portées contre l’abattoir.
M. Yves Daniel. Nous parlons de la lutte contre la maltraitance et de la souffrance des animaux au moment de leur mise à mort. Au regard de la loi, les animaux sont des êtres sensibles. C’est également le cas des humains, mais nous sommes aussi dotés de sentiments, ce qui nous amène à réagir sur le sujet en fonction de notre propre ressenti d’êtres sensibles et sentimentaux. Notre rapport à la notion de mise à mort est celui des humains : aucun animal ne nous livrera jamais l’analyse de sa relation à la mise à mort ni son ressenti. C’est à nous que revient la responsabilité d’assurer le bien-être animal et de lutter contre la maltraitance et la souffrance animale.
Les abattoirs sont, malgré tout, des lieux de mise à mort. On ressent en y pénétrant un choc inversement proportionnel à l’habitude que l’on peut avoir de ce type d’endroit. Le visiteur novice, l’éleveur et le salarié de l’abattoir ne vivent pas les choses de la même façon. Tout en assurant le bien-être animal, en luttant contre la souffrance et la maltraitance, comment faire admettre culturellement que l’alimentation carnée ne peut exister que s’il existe ces lieux si particuliers ? Un travail ne doit-il pas être entrepris pour faciliter la compréhension de tous et l’évolution de nos cultures ? Cela concerne bien sûr les animaux, qui ne se protégeront pas eux-mêmes – il faut adapter la loi et les pratiques –, mais aussi notre responsabilité en tant qu’acteurs de la chaîne de la vie des animaux, notamment au moment de la mise à mort.
M. Arnaud Viala. La filière avicole est celle pour laquelle il existe la plus grande perméabilité entre les questions relatives à l’abattage et à l’élevage des animaux. L’alerte lancée avec la diffusion d’images filmées dans les abattoirs n’a pas manqué de susciter un débat et des réflexions sur les conditions d’élevage des volailles. Comment comptez-vous transformer l’imaginaire collectif et donner une meilleure image à la production de volailles ? Croyez bien qu’en tant qu’élu de l’Aveyron, département où l’on élève de la volaille, je mesure l’importance de cette production, et que je me pose cette question à vos côtés !
M. Guillaume Chevrollier. J’ai visité des abattoirs de volailles de mon département, où l’on utilise l’électronarcose, et je peux dire que cela se passe bien.
Afin de mieux veiller au bien-être animal, estimez-vous qu’il faudrait conférer un statut juridique particulier au responsable protection animale ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la formation de l’ensemble de vos collaborateurs sur ce sujet ?
Quelles relations entretenez-vous avec les services de l’État ? Sont-ils bien présents dans vos établissements pour contrôler l’abattage ?
M. Paul Lopez. Pourquoi ne passons-nous pas à l’anesthésie gazeuse alors que d’autres pays européens le font ? Cette solution est envisagée par un pays du nord de l’Europe plus petit que le nôtre, même si sa production de volailles est significative. La filière y est caractérisée par une ultra-concentration des outils industriels. Elle est telle que, pour parvenir à un niveau équivalent en France, il nous faudrait diviser pas cent le nombre de nos structures. Voulons-nous d’une telle évolution ? La réponse collective de nos fédérations professionnelles est très clairement négative.
M. Jacques Lamblin. À juste titre !
M. Paul Lopez. J’ajoute que le pays en question ne produit quasiment pas de canard – il compte un seul abattoir pour cette espèce, qui ne pratique évidemment pas l’anesthésie au gaz.
Quel que soit le mode d’anesthésie utilisé aujourd’hui, il répond aux normes européennes du règlement européen 1099/2009, en application depuis 2013. En tant que fédération européenne et nationale, nous avons demandé une évaluation de ces normes établies en laboratoire afin que nous puissions faire évoluer le système. Aujourd’hui, il ne nous semble pas satisfaisant, car il est difficile à appliquer. Il faut surtout avoir conscience que chaque lot est différent : deux lots ne se comportent jamais de la même manière. Dans un cadre réglementaire, les professionnels doivent être davantage soumis à une obligation de résultat qu’à une obligation de moyens pour pouvoir moduler les paramètres sur la base de critères établis.
Monsieur Lambin, vous parlez de « changer l’eau du bain ». Les volailles ne sont pas « baignées » durant l’anesthésie. Leurs têtes trempent dans l’eau afin que le courant passe dans l’ensemble de la carcasse. Un arrosage permanent permet à l’eau de se renouveler.
M. Jacques Lamblin. J’employais volontairement une formule qui ne décrit pas une réalité que je connais. Il reste que j’ai entendu des personnes autorisées m’expliquer que l’on rencontrait parfois des dysfonctionnements dus à la mauvaise transmission du courant électrique.
Je souhaitais surtout, en vous interrogeant sur la généralisation de l’anesthésie au gaz, que votre réponse permette de préciser les choses : il est maintenant clair que le montant des investissements demandés provoquerait une concentration de la production qui n’est pas nécessairement ce qu’attend le consommateur en France.
M. Paul Lopez. Je maintiens mes propos s’agissant de l’idée de filmer le personnel des abattoirs à longueur d’année et de journée. Je ne suis pas certain que ce serait prendre la question sous le bon angle.
À ce jour, les vidéos diffusées ne concernent pas nos productions, mais je pense qu’il faut aussi les relativiser. Il s’agit sans aucun doute de cas très particuliers et marginaux par rapport à l’immense majorité des situations. Je ne nie pas qu’un problème se pose, mais s’il survient dans un cas sur mille, dix mille ou cent mille, ce n’est peut-être pas vraiment comme si 10 % des abattoirs étaient concernés.
Monsieur Daniel, nous sommes conscients que les animaux sont des êtres sensibles. Avec les règles européennes, il existe un cadre d’évaluation de la qualité de l’anesthésie et du respect du bien-être animal au moment de l’abattage. Nous devons continuer à travailler dans ce cadre, même s’il doit, à notre sens, faire l’objet d’un certain nombre d’aménagements, notamment en termes technologiques s’agissant de l’électronarcose.
Nous sommes évidemment en relation avec les services de l’État. Le ministre a déjà annoncé l’augmentation des effectifs de contrôle et de surveillance dans les outils d’abattage, en particulier dans les structures qui traitent les plus gros volumes. Les relations en question sont quotidiennes dans les structures de grande taille, et un peu moins fréquentes dans les outils moins importants.
Mme Julie Mayot. Les fédérations professionnelles préconisent dans leurs recommandations de bonnes pratiques d’utiliser pour l’électronarcose une eau qui soit la plus propre possible – il y a en la matière une obligation de résultat – afin d’assurer une meilleure conductivité. Cela se fait par changement complet de l’eau, mais je ne crois pas que cela se fasse pour chaque lot, ou par aspersion continue, ce qui assure un renouvellement permanent.
Il existe un RPA dans tous les outils qui abattent plus de 150 000 volailles par an, soit quasiment toutes les structures françaises. Une formation « opérateur protection animal » est assurée pour tous les opérateurs qui manipulent des volailles vivantes, quelles que soient les structures dans lesquelles ils travaillent.
Lors d’une commission technique, la semaine dernière, des responsables protection animale ont éclaté de rire lorsque je leur ai demandé s’ils risquaient une sanction dans leur entreprise au cas où ils dénonceraient de mauvaises pratiques. Tous ont répondu qu’ils seraient sanctionnés s’ils ne faisaient pas le signalement, qu’ils sont obligés de le faire, que c’est leur travail : leur fiche de poste leur impose de former les salariés, de surveiller, de dénoncer et d’apporter les actions correctives lorsqu’elles sont nécessaires.
M. Roland Tonarelli. Monsieur Lamblin, vous évoquiez la possibilité que la vidéo puisse servir de preuve à décharge. Mais, lorsqu’on est au cœur du cyclone médiatique, on a du mal à se servir d’une vidéo ! On ne peut pas diffuser quarante-huit heures d’images où tout se passe bien au journal de vingt heures ! Pour se défendre et prouver que l’entreprise est vertueuse, il faut compter sur des tiers. Je pense évidemment aux DDPP qui sont les gendarmes de nos métiers. Il faut s’assurer qu’ils ont les moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions.
Le RPA assume une fonction transversale qui s’apparente à celle du responsable sécurité qui a été créée ces quinze dernières années. Ce dernier est également un lanceur d’alerte s’agissant d’éventuelles procédures inadaptées qui risqueraient de provoquer des accidents ou de dégrader l’état de santé des personnels. Il veille notamment aux gestes des salariés pouvant favoriser l’apparition de troubles musculo-squelettiques (TMS), par exemple lors de l’accrochage à l’abattoir. Cela intéresse l’entreprise qui peut être sanctionnée financièrement si son taux de TMS est trop élevé. Les chefs d’entreprise écoutent les responsables sécurité, car ils font progresser l’entreprise et la préservent d’un risque qui pèse aussi sur ses finances.
On peut faire un parallèle avec les RPA, car un risque réel existe pour l’image de plusieurs marques à forte valeur économique qui défendent publiquement une certaine éthique. Les marques commerciales communiquent en effet en présentant un peu « Martine à la ferme » : elles vendent du rêve. Mais, comme le disait M. Daniel, la première fois que vous entrez dans un abattoir de volaille, vous pénétrez dans une salle sombre avec une lumière bleue pour éviter d’effrayer les animaux, conformément à la réglementation. Vous subissez un choc.
L’acceptabilité de nos métiers par la société est un vrai sujet de débat sur lequel nous réfléchissons depuis des années. Nous avançons, mais on ne peut pas systématiquement s’appuyer sur les labels et sur les volailles fermières, car ce segment ne représente que 20 % de la production française. Nous sommes face à un véritable enjeu de société. Nous en sommes parfaitement conscients.
Il est sans aucun doute surprenant de pénétrer pour la première fois dans une salle d’accrochage. On ne peut pas nier que l’ambiance soit glauque. Cela dit, dans mon entreprise, j’ai encore remis récemment la médaille du travail à des « accrocheurs » qui avaient occupé leur poste pendant trente-cinq ans. Lorsque je leur propose des postes moins exigeants physiquement, la réponse est toujours négative. Ces hommes sont habitués à faire ce travail ; ils s’y plaisent. Nous sommes très attentifs aux questions de TMS parce que l’entreprise risque d’être sanctionnée.
M. Jean-Michel Schaeffer. Si nous nous comparons à l’Europe, et sans doute au monde, la France est probablement le pays qui accueille la plus grande diversité d’espèces de volailles, mais aussi de modèles d’élevage. L’Europe du Nord, par exemple, avec son industrie très concentrée, fait principalement du poulet standard premier prix. Il suffit de se rendre dans le rayon volailles des commerces en France et dans les autres pays européens : chez nous, la diversité et la richesse de l’offre sont impressionnantes.
Tous les types d’élevage respectent les normes relatives au nombre d’animaux au mètre carré inscrites dans la directive européenne. Nous sommes sans doute le pays précurseur en matière de production sous signe de qualité. Nous nous sommes engagés dans cette voie, que les Pays-Bas commencent à découvrir, il y a plus de cinquante ans. Aujourd’hui, en France, 20 % de la viande de volaille est issue de cette production. Nous cherchons toujours des améliorations. L’ITAVI développe notamment un projet EBENE visant à objectiver des indicateurs de bien-être animal. Nous devons aussi mieux valoriser ce que nous faisons bien, et accompagner les démarches de progrès, avec les associations et les consommateurs.
M. Dominique Ramon. On m’a suggéré, lors une conférence, de changer le nom des « abattoirs de volailles » pour les appeler « centres de transformation des animaux ». Beaucoup de citadins semblaient plus à l’aise avec cette appellation.
Les services de l’État sont continuellement présents dans tous nos outils. Nous sommes destinataires de rapports qu’ils soumettent à leur hiérarchie de façon trimestrielle ou semestrielle, mais les points avec les responsables des services qualité sont aussi mensuels. Ces rapports ne sont pas sans suite. En tant que chef d’entreprise, je suis obligé d’y répondre tous les mois, comme je suis obligé de me conformer à la législation, qu’elle soit relative au bien-être animal ou aux impératifs sanitaires.
Croyez bien que les agents de l’État sont présents dans nos entreprises et qu’ils travaillent d’arrache-pied pour faire appliquer les textes que le législateur national a adoptés, ainsi que les règlements nationaux et européens !
Nous collaborons, en Pays-de-Loire et en Bretagne, avec la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), qui nous a demandé d’être une filière pilote s’agissant des TMS. La semaine dernière, à Angers, huit cents entreprises ligériennes et bretonnes du secteur de l’agroalimentaire étaient présentes sur les mille invitées pour discuter de ce sujet. Les abattoirs de volailles sont très impliqués en la matière afin de faire progresser leurs méthodes de travail au bénéfice de leurs salariés – notamment grâce à des formations complémentaires.
M. Jean-Yves Caullet, rapporteur. Quel est l’ordre de grandeur du coût de l’abattage dans la chaîne de valeur de la volaille ? Je souhaiterais évaluer ce que pourraient représenter des prescriptions supplémentaires en matière d’abattage.
Vous avez indiqué, Monsieur Lopez, que la proportion d’abattage sans étourdissement préalable était de moins de 1 %. Cela m’a étonné dans la mesure où le débouché de viande de volaille à destination de pays de confession musulmane est important. Comment les volailles que vous vendez à l’export sont-elles certifiées de ce point de vue ? Quelle est la situation des autres pays producteurs ayant des marchés de même destination ?
Ce qui frappe, dans les abattoirs de volailles, c’est que la distance à l’animal n’est pas du tout la même que dans les abattoirs de porcs ou de ruminants. La forme de l’animal, sa taille, le nombre et la cadence créent une distance plus grande, qui n’est pas anthropique. Le fait que le public ne sache pas trop ce qui se passe dans les abattoirs de volailles et n’ait guère envie de le savoir est aussi un point faible de la filière, surtout lorsque ce public vient à découvrir, de manière parfois spectaculaire, des choses qu’il ignorait. Ne pourriez-vous partager l’information dans des structures telles que les commissions locales d’information et de surveillance (CLIS) qui existent auprès d’autres installations classées ? Ces CLIS, qui réunissent des gens connus et reconnus – consommateurs, éleveurs, services vétérinaires de l’État, producteurs et responsables de l’outil – ne permettraient-elles pas un échange et un suivi autres que de crise en crise ?
Le contrôle vétérinaire est permanent et extrêmement orienté vers la santé des animaux. Est-il, selon vous, également réparti et suffisant en matière de bien-être animal, notamment avant l’étourdissement, c’est-à-dire à l’arrivée à l’abattoir et lors du stockage intermédiaire ? Ce sont des caisses qui sont déchargées des camions et l’on a l’impression que leur stockage est presque inerte : le traitement et l’entrepôt des animaux avant leur entrée dans la chaîne ont quelque chose de non-animal. Pourrait-on concevoir, à cet endroit, une surveillance de l’État ? Il ne s’agirait pas d’un contrôle permanent, mais de permettre, une fois de temps en temps, aux personnes que l’on envoie surveiller un abattoir de filmer le déchargement d’un camion. A priori, on se dit, comme vous, qu’on ne peut pas surveiller quelqu’un à son poste toute la journée. Puis, lorsqu’on approfondit la question, on s’aperçoit que vous ne voyez aucun inconvénient à ce qu’un inspecteur vétérinaire observe une chaîne du matin au soir. Le problème n’est donc pas d’être surveillé, mais de l’être sans le savoir, en permanence et de manière impersonnelle. Seriez-vous moins opposé à ce que l’on accorde la possibilité à l’État d’assurer une surveillance ponctuelle en de multiples points de la chaîne, si l’on détermine les modalités de traitement des images et les personnes ayant le droit de les voir ? Certaines des personnes que nous avons auditionnées étaient même favorables à ce que l’outil soit à disposition du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui, en cas de problème à un poste de la chaîne, pourrait ainsi fournir une vidéo.
M. Arnaud Viala. J’ai oublié de vous interroger tout à l’heure quant aux étapes préalables à l’arrivée à l’abattoir et notamment quant au transport. Cette question fait toujours débat s’agissant des volailles, compte tenu du pourcentage d’animaux qui meurent pendant leur trajet du fait de conditions de transport difficiles. Pourriez-vous nous fournir des chiffres à ce sujet ?
M. William Dumas. Ne sont-ce pas les accrocheurs qui règlent la cadence des chaînes ?
M. Paul Lopez. Non.
M. William Dumas. Ayant visité un abattoir, je croyais que si. Il me semble en tout cas bénéfique d’avoir installé des systèmes de ventilation dans ce type de lieux qui sont envahis de poussière et de plumes.
Dans de nombreux élevages, les poulets sont attrapés, puis transportés de nuit. Ils arrivent à l’abattoir le matin et certains d’entre eux s’affolent ou s’étouffent, surtout l’été. J’ai connu beaucoup de poulaillers dans le département du Gard et j’ai travaillé dans une banque qui était proche des éleveurs. Pour avoir parfois aidé un collègue éleveur à mettre les poulets en cage, je sais que l’acte n’est pas anodin. Mais il est vrai que le transport s’est amélioré depuis quelques années et que les moyens se sont accrus.
S’agissant du poste d’accrocheur, je suis d’accord avec vous, car j’ai moi-même, en tant que conseiller général, remis des médailles de travail à des gens ayant exercé ce métier pendant trente-cinq ans et qui ne voulaient pas en partir. Il n’empêche que j’ai trouvé ce métier très pénible, comparé aux autres postes de l’abattoir.
M. Paul Lopez. Selon une étude comparative européenne, le coût de l’abattage représente quelque 20 % du prix du produit sorti de l’abattoir. Ce chiffre est à relativiser, compte tenu du fait que nous importons 40 % de notre consommation de poulet. Nos coûts d’abattage sont supérieurs de 33 % à ceux de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne, et de 81 % à ceux de la Pologne. Ces chiffres sont issus d’études que nous pourrons vous transmettre, car elles ont été publiées.
M. Jacques Lamblin. Cela est-il lié à la masse salariale ?
M. Paul Lopez. Cela est lié à des éléments tels que la taille des outils, celle des élevages et l’écart des coûts de main-d’œuvre. Sur ce dernier point, des progrès ont certes été accomplis outre-Rhin, mais le problème n’est pas résolu pour autant, puisque la prestation de services peut être assurée dans le cadre de la réglementation de pays situés plus à l’Est.
La France, on l’a dit, se distingue par une très forte diversité des productions. C’est un atout en termes d’offre pour le consommateur, mais un handicap en termes de coûts d’abattage, puisque nous avons beaucoup plus d’outils polyvalents que nos voisins.
Concernant les 1 % d’animaux abattus sans étourdissement préalable, je pense que le chiffre est bien inférieur, mais je l’ai cité pour montrer que la proportion de volailles non étourdies était relativement faible. Cette proportion marginale est plutôt destinée au marché intérieur qu’à l’exportation.
Vous avez ensuite évoqué la distance par rapport aux animaux, due à leur taille, et leur contention pendant le transport. Ces aspects sont réglementés par des normes de densité et de hauteur dont l’application est contrôlée par les services de l’État. Il est vrai que nous approchons différemment un animal de 500 kilogrammes et un autre qui n’en pèse que deux.
Notre profession est réticente au partage d’informations que vous avez évoqué. J’ai observé que l’ouverture à notre environnement immédiat, c’est-à-dire à nos voisins, aux habitants de la commune, dans le cadre d’opérations portes ouvertes, était toujours extrêmement positive. Bien que les abattoirs aient une image très négative, ces visiteurs nous disent toujours, lorsqu’ils en ressortent, que l’abattoir est beaucoup plus propre qu’ils ne le pensaient. Sans doute ne communiquons-nous pas assez. La société nous amène à combler ce déficit. Ce partage d’informations se pratique de plus en plus, mais est lié à une question d’intégration des abattoirs sur leur territoire plutôt qu’à une évolution réglementaire à proprement parler.
Vous avez indiqué que les contrôles vétérinaires étaient essentiellement sanitaires. Je ne partage pas cet avis. La première étape du contrôle – avant le contrôle sanitaire de la qualité des viandes – s’effectue ante mortem, au déchargement des animaux ou lors de leur stockage. C’est ce premier contrôle qui détermine si un lot passera sur la chaîne d’abattage.
M. le rapporteur. J’ai pu constater qu’une charmante dame d’un mètre soixante contrôlait des piles de douze caisses empilées les unes sur les autres. Elle a avoué qu’elle ne voyait pas celles du haut.
M. Paul Lopez. Elle a accès à ces animaux lorsque la pile est défaite. Je ne pense pas qu’il y ait de différence dans la circulation des flux d’air entre la partie haute et la partie basse du bâtiment.
Vous nous avez demandé quel était le taux de mortalité des animaux pendant le transport. En vertu de la réglementation, un taux supérieur à 2 % de mortalité pour les poulets, et à 0,7 % pour les dindes, est un critère d’alerte nous obligeant à entamer une procédure particulière. Le taux de mortalité observé varie suivant la saison et d’autres paramètres, mais est d’environ 0,3 % – loin du plafond fixé par la réglementation.
M. Jacques Lamblin. Quelles sont les causes de cette mortalité ?
Mme Julie Mayot. Ce peuvent être les conditions climatiques défavorables ou des accidents imprévus. Je précise que le transport commence par le travail de l’éleveur. Je pense que toutes les entreprises imposent aux éleveurs d’effectuer un repérage des animaux qui ne seraient pas aptes au transport – pendant toute la durée d’élevage, mais surtout juste avant l’enlèvement des volailles – et de les euthanasier à l’aide de méthodes éprouvées scientifiquement. Ensuite, la deuxième personne à manipuler les animaux est celle qui les charge dans les caisses. Si elle repère un animal souffrant, elle doit également l’euthanasier avant le transport. Enfin, à l’arrivée à l’abattoir a lieu l’inspection ante mortem, et je reviendrai sur la notion d’échantillonnage qui distingue les volailles des animaux de boucherie : en volaille, les lots étant très importants, on ne peut contrôler chaque animal individuellement, que ce soit ante mortem ou sur la chaîne d’abattage. On réalise un échantillonnage en fonction de la taille du lot.
M. le rapporteur. J’ai cru comprendre que la densité des animaux dans les caisses de transport était un facteur de confort évitant les chahuts. Cela étant, moins longtemps les animaux restent stockés dans un hangar, mieux c’est. Comment, en tant qu’abatteurs, gérez-vous le flux par rapport à vos fournisseurs d’animaux vivants pour limiter le temps pendant lequel les animaux sont dans ces caisses – plus adaptées au transport qu’à l’attente ?
M. Paul Lopez. Le temps de transport et le temps de stockage doivent être les plus courts possible. Le stockage n’atteint jamais quarante-huit ni même vingt-quatre heures. Il dure généralement deux à trois heures, parfois même une heure, voire trente minutes. Il est au grand maximum de quatre heures. Du fait de la diversité des outils et de leur présence sur l’ensemble du territoire, la distance de transport est, elle aussi, souvent relativement limitée
– de l’ordre d’une à deux heures. On est plutôt dans ces ordres de grandeur que dans les huit à dix heures.
M. Dominique Ramon. En principe, les volailles sont enlevées la nuit, mais beaucoup le sont désormais le jour, pour diminuer leur temps d’attente. Si l’on attendait vingt-quatre heures, ce qui est interdit, les animaux perdraient du poids et certains mourraient. Les temps réglementaires d’attente sont de six heures au maximum pour les volailles label, mais nous nous inspirons forcément de ces cahiers des charges pour les volailles standard.
Quant à la densité, elle est laissée à l’appréciation du chef d’entreprise et du RPA. Les animaux étant plus épais en hiver, la densité des caisses est légèrement plus importante à cette saison. Elle est réglementée. Monsieur Paul Lopez vous disait qu’un contrôle était effectué à l’arrivée à l’abattoir, mais un autre contrôle est aussi effectué sur la route par les services de l’État. Je reçois, en tant que chef d’entreprise, des rapports de conformité à la réglementation : mon entreprise est toujours considérée comme conforme à ces règles. Mes chauffeurs reçoivent une formation au captage : cette dernière, de deux jours, vise à leur apprendre à respecter le bien-être animal entre l’élevage et l’abattage. Le RPA, lors de son inspection sur site, effectue un contrôle de température dans la pièce en amont. Les contrôles des services de l’État s’effectuent non pas de huit à dix-sept heures, mais à des horaires et des dates qu’eux seuls connaissent. Enfin, des fiches d’identification de la chaîne alimentaire (ICA) sont préalablement signées par nos RPA, puis transmises aux services vétérinaires, quarante-huit heures avant l’abattage. Si un lot avait un jour un problème, les éleveurs le communiqueraient aux services de notre entreprise, qui en informeraient les services de l’État.
M. le rapporteur. Les chauffeurs des camions sont-ils toujours des salariés de votre entreprise, ce qui permettrait un meilleur contrôle de leur formation et de leurs compétences ?
M. Dominique Ramon. Dans les petits abattoirs de volailles, les chauffeurs sont majoritairement des employés. Les grands outils font, quant à eux, appel à des sociétés spécialisées, dont les chauffeurs sont formés – condition sine qua non pour entrer dans un camion. Nous appliquons la réglementation qui nous est imposée.
Mme Annick Le Loch. Mes questions ayant déjà été posées, vous y avez largement répondu. La première concernait la présence des services de l’État – vétérinaires et techniciens. Comment comprendre qu’il y ait des manquements alors que, dès qu’un abattoir est ouvert, ces services effectuent des contrôles en permanence d’un bout à l’autre de la chaîne et établissent des rapports et des audits exigeants ?
Vous avez dit tout l’intérêt d’avoir un responsable d’équipe d’abattoir et de former vos équipes : est-ce la réalité aujourd’hui ?
Enfin, nous avons évoqué tout à l’heure le transport des animaux : mais au-delà, chez l’éleveur, comment l’enlèvement se pratique-t-il ? J’ai souvenir d’avoir vu dans le passé des images assez dures d’enlèvement dans des poulaillers. Les temps ayant bien changé, pourriez-vous nous indiquer ce qu’il en est ? Êtes-vous vous-mêmes propriétaires de poulaillers ? La filière avicole me semble globalement intégrée.
M. Paul Lopez. Je laisserai Madame Julie Mayot répondre à la question concernant la présence des services de l’État et la formation. S’agissant du transport, les deux systèmes existent dans les entreprises : soit elles ont un parc en propre, soit elles sous-traitent la tâche en recourant à des entreprises spécialisées en ce domaine. Dans 99,9 % des cas, les entreprises d’abattage ne sont pas propriétaires des bâtiments d’élevage. Quant au ramassage, il se fait sous la surveillance et la responsabilité – économique, notamment – de l’éleveur, puisque c’est lui qui paie l’équipe de chargement des animaux. C’est l’abattoir qui assure en propre ou qui fait assurer le transport. Le transfert s’effectue à ce moment-là.
Mme Julie Mayot. S’agissant de la présence vétérinaire en abattoir, le secteur avicole présente une spécificité : le personnel y est autorisé à participer aux contrôles ante mortem et post mortem sous la supervision des vétérinaires officiels et des auxiliaires vétérinaires, avec une formation préalable délivrée par des organismes de formation agréés. Il n’y a donc pas de vétérinaire en permanence pour contrôler la viande sur la chaîne. En revanche, les vétérinaires sont présents dans l’abattoir et peuvent intervenir à tout moment. Les salariés placés sur la chaîne à ces postes sont formés. Le contenu de leur formation est vérifié et validé. Ils passent de manière inopinée pour contrôler eux-mêmes certains postes.
Ont été formées au poste d’opérateur protection animale plus de 5 000 personnes depuis trois ans, et au poste de responsable protection animale, 551 personnes. Il y a en permanence un RPA dans l’entreprise.
M. Roland Tonarelli. Pour vous donner un autre regard sur le ramassage, je précise qu’il n’est pas dans l’intérêt économique des opérateurs – éleveurs comme abattoirs – de se retrouver avec des animaux morts. Au moment du transfert de propriété, c’est-à-dire une fois le camion chargé, la responsabilité économique pèse sur l’éleveur. Et si un camion arrive à l’abattoir avec des morts au quai, le prix de ces animaux sera, en vertu du contrat qui lie les opérateurs, défalqué de la rémunération de l’éleveur. Si un abattoir ne fait pas bien son travail – si, notamment, il n’est pas doté d’un hangar ventilé permettant d’abriter les camions à l’ombre, par exemple en cas de panne de la chaîne d’abattage, et donc d’éviter les étouffements d’animaux –, la sanction sera économique. C’est d’ailleurs bien souvent pourquoi, en l’absence de ce type de hangar, les camions redémarrent. Le mode d’organisation financière de la filière avicole n’a rien à voir avec celui des filières porcine et bovine, dans la mesure où le prix est fixé de façon contractuelle, et non par le marché.
Monsieur Dumas nous a interrogés sur les accrocheurs et les cadences sur la chaîne. Je précise que c’est le chef d’équipe qui fixe la cadence d’abattage, conférant un rythme de travail à tous les opérateurs. L’organisation est mécanisée et le geste répétitif. La cadence dépend du nombre d’opérateurs présents sur la chaîne et l’entreprise n’a pas intérêt à ce que ceux-ci aient des troubles musculo-squelettiques du fait d’un rythme trop rapide. La nature humaine est capable de s’adapter à une certaine vitesse. Si le chef d’entreprise va au-delà, non seulement il en porte la responsabilité en cas d’accident, mais cela ne fonctionne pas sur la durée. Une chaîne qui tourne à 2 000 ou à 3 000 animaux à l’heure sera donc équipée du nombre d’opérateurs nécessaire. Si l’on passe de trois opérateurs pour 2 000 animaux à l’heure à quatre opérateurs pour 3 000, les opérateurs travailleront proportionnellement moins, car ils feront moins de gestes répétitifs. La cadence peut donc paraître surprenante, mais doit être relativisée en fonction du nombre d’opérateurs présents sur les postes de travail.
Mme Julie Mayot. Deux temps sont réglementaires et conditionnent la cadence en abattoir : le temps d’accrochage d’un animal vivant – moins d’une minute pour un poulet – et l’intervalle entre l’étourdissement et la saignée – qui doit être de vingt secondes au maximum.
M. Jacques Lamblin. La création de notre commission d’enquête fait suite aux scandales que vous connaissez. Nos concitoyens – les consommateurs – ont réagi massivement, parce qu’ils veulent être certains qu’il n’y a pas de souffrance animale inutile. Notre travail consiste donc à dresser un état des lieux. Aussi justes soient-elles, les observations que nous pourrons faire ne remplaceront pas, pour nos concitoyens, les certitudes qu’ils se forgeront par eux-mêmes.
Vous avez formulé plusieurs objections à l’idée de la vidéosurveillance. Vous dites en premier lieu que le personnel se sentirait surveillé. Certes, mais c’est le cas dans des milliers de commerces : les caissières de supermarché ont une caméra au-dessus de leur poste de travail. Que vous le vouliez ou non, le refus du vidéo-enregistrement peut induire une suspicion chez le consommateur. Vous expliquez en deuxième lieu que les inspecteurs vétérinaires et les personnels sanitaires sillonnent les établissements. Mais, dans les établissements de petite taille, il n’y a pas présence permanente, mais passage régulier de ces personnels – ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Le vidéo-enregistrement peut donc permettre d’amplifier les moyens de contrôle sanitaire existants sans qu’il soit nécessaire de créer des postes supplémentaires. En effet, l’État n’a pas de moyens infinis en la matière. Si l’on voit la vidéosurveillance comme un moyen d’amplifier l’action des services de contrôle et d’offrir une garantie supplémentaire à nos concitoyens, votre position ne risque-t-elle pas d’être contre-productive pour la filière ?
M. Paul Lopez. Il ne s’agit pas d’être têtu : c’est par égard pour le personnel que j’ai formulé ces observations. De plus, je le répète, nous sommes soumis à un cadre réglementaire. Ce n’est pas comme si n’était prévue aucune règle de respect du bien-être animal. Les règles existent à chaque étape : pendant le transport, lors de l’inspection ante mortem et sur la chaîne. Nous vous avons parlé de la manière dont les choses se passaient à chaque poste de travail.
Il importe que les mesures soient proportionnées. La vidéosurveillance est une solution séduisante, d’autant qu’elle peut être assurée à l’aide de petits appareils peu onéreux. Mais le recours à un tel système risque de coûter plus cher à certaines entreprises qu’à d’autres. Vous avez évoqué le fait que les services de l’État contrôlaient de façon moins régulière les outils de petite taille. Le ministre de l’agriculture a également confirmé qu’il intensifierait les contrôles et augmenterait les effectifs chargés de contrôler les outils de taille un peu plus importante. Avant de dire qu’il faut réaliser des vidéos pendant 100 % du temps d’accrochage, assurons-nous que le cadre réglementaire global fonctionne bien. Les services de l’État interviennent à tout moment du jour ou de la nuit. Ils effectuent parfois même au milieu de la nuit, bien avant le démarrage des opérations, des contrôles de nettoyage et de désinfection. Ces services vétérinaires ont un accès permanent au site – y compris dans leurs zones sécurisées –, ce qui leur permet déjà d’évaluer la situation. Avant de rendre la vidéosurveillance systématique – ce à quoi nous ne sommes pas favorables –, on pourrait déjà dresser un état des lieux des contrôles actuels : cette solution me paraît d’autant plus simple que, normalement, l’état des lieux est déjà fait.
Bref, nous insistons sur la notion de proportionnalité des mesures et sur la nécessité de procéder par étapes. La réglementation est en vigueur depuis 2013 et Madame Julie Mayot a évoqué le nombre de personnes qui, en trois ans, ont pu être formées dans nos filières. Nous bénéficions de l’effet cumulatif de notre expérience et de ces formations – effet qui va continuer à s’accroître.
Mme Julie Mayot. Aujourd’hui, personne ne demande de contrôle vidéo permanent de l’état sanitaire des carcasses et de la viande. Pourquoi y aurait-il un contrôle vidéo permanent de l’avant-abattage ? Vous nous faites confiance pour assurer la sécurité sanitaire de nos produits sous contrôle vétérinaire : pourquoi ne pas en faire autant avant l’abattage ? Notre personnel est formé, des vétérinaires sont présents sur place et nous contrôlons des indicateurs de bien-être animal. C’est la formation des salariés qui importe le plus pour nous. C’est pourquoi les fédérations professionnelles envisagent de réunir les responsables de la protection animale une à deux fois par an afin qu’ils procèdent à des échanges de bonnes pratiques et qu’ils effectuent un travail constructif d’amélioration continue de ces pratiques.
M. le président Olivier Falorni. Le vidéo-enregistrement ne pourrait-il pas servir dans ce type de réunion à l’amélioration des bonnes pratiques ?
M. Roland Tonarelli. D’un point de vue pragmatique se pose la question de l’exploitation de ces images. Si vous décidez d’imposer cette vidéosurveillance, cela n’empêchera pas, demain, une association lanceur d’alerte de trouver un épiphénomène – par exemple, une caisse mal arrimée tombant d’un camion –, de le filmer, d’accuser une marque et de faire éclater un nouveau scandale. Le fait de pouvoir opposer à cela des images ne réglera pas le problème, la motivation première de ces lanceurs d’alerte étant de créer du désordre et de jeter le discrédit sur une profession. Si nous ne sommes pas favorables à la vidéosurveillance, c’est plutôt par pragmatisme, parce que nous ne sommes pas persuadés que cela changera le regard de nos contemporains sur notre métier. Nous sommes beaucoup plus favorables au fait d’ouvrir nos portes, de dialoguer, de montrer comment nous travaillons et de faire des efforts de formation, car nous constatons que cela donne des résultats.
M. le président Olivier Falorni. L’ouverture des portes a néanmoins ses limites. Vous n’allez pas organiser des portes ouvertes pendant la phase qui nous intéresse, qui est celle de la mise à mort des animaux. La vidéosurveillance relève évidemment d’un processus interne. Vous nous parlez d’ouverture, mais il est des choses que le grand public ne peut pas voir même si les animaux sont respectés et si leur mise à mort est opérée à l’aide des techniques adéquates et avec l’étourdissement nécessaire. Vous pouvez certes faire visiter un établissement vide en en montrant les outils, mais c’est le bien-être animal qui nous intéresse. L’organisation de portes ouvertes ne répond pas du tout à cette question centrale.
M. Roland Tonarelli. C’est bien vrai. Mais les vidéos des lanceurs d’alerte faisaient apparaître des comportements scandaleux de la part de certains opérateurs salariés des entreprises. Je passe presque tous les jours dans les ateliers pour savoir ce qui s’y passe et pour rencontrer les gens, mais je ne m’imagine pas visionner chaque jour huit heures de vidéo. La formation des opérateurs, les compétences du RPA et le fait qu’il ait une relation directe avec le chef d’entreprise pour intervenir et éviter les comportements criminels me paraissent beaucoup plus importants que de garder une trace vidéo.
M. le rapporteur. Il y a une grande différence entre le contrôle nécessairement statistique de l’abattage et du traitement des volailles et le contrôle individuel des gros animaux et de leur carcasse. Certaines de nos questions s’expliquent par le regard croisé que nous portons sur différentes filières. La question est théoriquement la même : il s’agit de savoir dans quelles conditions de bien-être sont traités les animaux lorsqu’ils passent de l’état d’êtres vivants à celui d’objets de consommation. Mais les situations en termes de rythme et de nombre de bêtes concernées sont fort différentes.
M. Thierry Lazaro. En réaction à Madame Mayot, je ferai remarquer qu’il est assez compliqué de filmer un aspect sanitaire. J’ignore quelle sorte d’animaux nous sommes ici, à l’Assemblée nationale, mais il y a une caméra à chaque coin de bureau. Nous préférerions nous en passer, mais nous nous y sommes habitués. Je ne suis pas un fervent défenseur de ces caméras, mais ainsi va la société. Comme l’a rappelé tout à l’heure Monsieur Jacques Lamblin, le moindre commerce, aujourd’hui, en compte trois ou quatre, et les employés font avec.
Dans le contexte de l’abattage, on est forcé de parler de bientraitance ou de maltraitance animale. C’est pourquoi le propos tenu tout à l’heure par notre président sur ce GAEC n’était pas iconoclaste : il est vrai qu’il n’est pas inutile de savoir ce que l’autre pense, indépendamment des relations qu’il peut avoir avec des sociétés concurrentes.
Nous ne savons pas encore quelles seront les conclusions de notre commission d’enquête. Tout est ouvert et les avis sont divers et variés. Nous avons découvert que le sujet est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraissait au départ, et nous nous interrogeons sur l’opportunité d’instaurer un système de vidéosurveillance du point sensible qu’est l’abattage. Il ne s’agit pas pour nous de penser une seule seconde que toutes les personnes qui sont à ce poste sont « sanguinaires ». C’est un métier difficile et honorable, quelle que soit l’entreprise. Mais, s’il y a des dérapages, c’est notre rôle de les souligner. Et la vidéosurveillance, qui ne se ferait peut-être pas sous l’égide de l’entreprise, mais des services vétérinaires ou d’autres services d’État, pourrait peut-être constituer une solution en cas de problème particulier
– solution n’excluant en aucun cas la formation du personnel.
M. le président Olivier Falorni. Puisque ma question relative au GAEC du Perrat n’était pas iconoclaste, j’en poserai une autre qui ne l’est pas plus. Le broyage des poussins a également provoqué un scandale. Quel est votre point de vue sur le traitement des poussins dans les couvoirs ? Je ne décrirai pas les images que nous avons vues, mais, bien que la question ne soit pas au cœur des préoccupations de notre commission, on ne peut pas ne pas l’évoquer dans un débat sur la filière avicole.
M. Paul Lopez. Vous nous avez interrogés sur l’utilité de la vidéo dans le cadre de nos formations. Nous nous servons de cet outil pour former notre personnel, mais il y a une différence entre les vidéos que nous réalisons à dessein, dans ce cadre, pour illustrer les bonnes et mauvaises pratiques, et un enregistrement permanent.
Monsieur Lazaro a évoqué les dérapages éventuels. Dans cette hypothèse et en vertu de leur fiche de mission, les RPA, qui sont présents en permanence, ont obligation d’appliquer des sanctions. Il n’est donc pas question de « pas vu, pas pris » : il y a toujours quelqu’un ayant délégation pour assurer le bien-être animal. Monsieur Roland Tonarelli l’a dit : l’intérêt économique de nos entreprises et de la filière est d’assurer ce bien-être, même si tout n’est pas toujours parfait – et je n’excuse pas les pratiques anormales.
Vous avez aussi évoqué le scandale du broyage des poussins. Il convient, une fois de plus, de distinguer entre les secteurs d’activité : dans les filières de ponte, on élimine un poussin sur deux, puisque le coq ne pond pas d’œufs ; dans les filières de production de chair, on effectue un simple tri et le taux est extrêmement bas, après quoi l’on a recours à la meilleure technique disponible. Si vous faites référence aux vidéos qui ont circulé dans un département de l’Ouest il y a un certain temps déjà, il s’agit clairement d’un montage et non d’une pratique de l’entreprise qui, malheureusement, n’a pas survécu au tsunami qu’elle a dû affronter. Faire tourner les animaux en l’air dans un sac et les cogner n’est pas une pratique courante.
M. le président Olivier Falorni. Qu’entendez-vous par montage ?
M. Paul Lopez. Selon nos informations, la personne qui s’est livrée à ces actes a été incitée à faire des gestes dont elle n’était pas coutumière.
M. Arnaud Viala. Voulez-vous parler d’une mise en scène ?
M. Paul Lopez. Je n’ai pas utilisé le terme, mais c’est possible. N’ayant pas été présent, je ne puis l’affirmer.
M. Dominique Ramon. Je souhaiterais compléter les propos de Paul Lopez concernant les poussins. Au salon de l’agriculture, une société ligérienne dont les recherches portent sur un système fiable et non invasif de prédiction du sexe du poussin avant éclosion de l’œuf a été nommée lauréate des projets agricoles et agroalimentaires des investissements d’avenir (P3A), en présence du ministre de l’agriculture et de Monsieur Emmanuel Macron, et s’est vu attribuer 2 millions d’euros d’avances par FranceAgriMer. Le projet scientifique de cette société, qui verra le jour demain, a donc interpellé les services de l’État.
M. Jean-Michel Schaeffer. La filière travaille à ce sujet de façon très sérieuse. De nombreuses études ont été réalisées, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas et en France, afin de déterminer comment sexer l’animal avant qu’il ne soit considéré comme un embryon. Une entreprise française a notamment réalisé des recherches importantes en ce domaine. Nous l’avons soutenue dans sa démarche auprès des pouvoirs publics afin qu’elle puisse nous apporter des solutions techniques. Il existe différents types de techniques selon les pays.
M. Roland Tonarelli. Les projets de sexage dans l’œuf permettraient effectivement d’éviter les images qui ont été portées à la connaissance du public même si, dans certains cas, on peut s’interroger quant à l’aspect contradictoire de ce type d’enquêtes – si on peut appeler cela des enquêtes. Cette technique est choquante pour notre sensibilité humaine, mais c’est aujourd’hui la meilleure disponible.
M. le président Olivier Falorni. Souhaiteriez-vous conclure cette audition, Monsieur Lopez ?
M. Paul Lopez. Je vous remercie de nous avoir reçus. Je rappellerai en conclusion que nous sommes dans un marché européen. La France est devenue le maillon faible à l’échelle du continent après avoir été depuis toujours, jusqu’à il y a deux ans, le premier pays européen. Notre compétitivité est en perte de vitesse. Dès que nous avons des écarts de prix, même inférieurs à 1 %, nos entreprises gagnent ou au contraire perdent des marchés. Je ne suis pas en train de monétiser le bien-être animal, mais nous devons être conscients que nous nous trouvons dans un cadre global de marché.
J’ai parlé du marché européen, mais les enjeux sont aujourd’hui encore plus importants, puisque 25 % des filets de poulet consommés en Europe sont importés des pays tiers auxquels il n’est demandé de suivre aucune réglementation européenne – y compris en termes de bien-être animal. Je me dois, au nom de notre profession, de m’élever contre cet état de fait et de saluer la démarche du ministre de l’agriculture à Bruxelles – ce qui a d’autant plus de poids que ce n’est pas dans notre habitude. Monsieur Stéphane Le Foll a en effet demandé l’instauration d’un étiquetage d’origine des produits transformés, qui n’est pas aujourd’hui à l’ordre du jour de la réglementation européenne. Il faut que la France soit exemplaire pour bien montrer à ses confrères européens que c’est la démarche à suivre pour garder et nourrir la confiance du consommateur européen à l’égard des productions du continent et, a fortiori, du consommateur français. C’est d’abord notre intérêt économique.
M. le président Olivier Falorni. Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions.
La séance est levée à dix-huit heures quarante.
——fpfp——
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français
Réunion du mercredi 15 juin 2016 à 16 h 30
Présents. - Mme Sylviane Alaux, M. Jean-Yves Caullet, M. Guillaume Chevrollier, M. Yves Daniel, M. William Dumas, M. Olivier Falorni, M. Jacques Lamblin, M. Thierry Lazaro, Mme Annick Le Loch, M. Arnaud Viala
Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Christophe Bouillon, Mme Paola Zanetti